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B. La maîtrise des risques fiscaux de l’entreprise.

Pourquoi définir une fonction fiscale des prix de transfert? Tout simplement pour éviter une double imposition (1)! C'est dans ce soucis de sécurisation juridique, que le juriste d'entreprise sera amené à être garant de la bonne application de l'accord préalable (2).

1.· Eviter à tout prix une double imposition[1].

Dans la mesure où les prix de transfert devraient, en principe, résulter d'une logique de marché et obéir aux impératif de gestion, on pourrait se demander pourquoi les définir à priori avec les contraintes que cela peut impliquer.

On reconnaîtra la nécessité de maîtriser ses risques fiscaux au même titre que les autres risques d'entreprise. Mais on peut également envisager plus positivement l'intérêt de disposer d'un outil générateur d'opportunités lorsque des choix de gestion ou d'organisation se présentent. Ceci se traduit dans une optique de maîtrise des risques fiscaux et douaniers.

En effet, le risque fiscal comprend naturellement le coût d'une double imposition. L'art. 57 du Code Général des Impôts permet à l'administration fiscale française d'incorporer aux résultats d'une société les bénéfices considérés comme transférés à une entité étrangère qu'elle contrôle ou sous la dépendance de laquelle elle se trouve.

Or un tel redressement n'entraîne pas nécessairement un ajustement corrélatif des bénéfices imposés dans l'autre Etat. Quand bien même celui-ci serait obtenu, ce ne sera qu'au prix d'une procédure assez longue et aléatoire (recours aux autorités compétentes dans le cadres des dispositions prévues par les conventions fiscales).

Outre le risque de double imposition, il y a lieu de prendre en compte les pénalités pour lesquelles on notera une tendance de certains états à la surenchère, que ce soit dans un but dissuasif, ou dans l'objectif parfois implicite, de récupérer des recettes budgétaires complémentaires.

Selon le rapport OCDE de juillet 1995, la fourchette des sanctions dites "pécuniaires civiles" (c'est à dire indépendamment des sanctions à caractère pénal), en cas de redressement fiscal, s'établirait entre 10 et 200% dans les différents pays membres.

Certes les administrations fiscales sont invitées à ternir compte des observations de modération préconisées par le rapport en l'absence de faute ou de mauvaise foi, mais l'on peut craindre que ces recommandations aient une portée limitée, surtout lorsqu'il est reconnu par ce même rapport qu'il est difficile de se prononcer dans l'absolu sur le caractère excessif ou non d'une pénalité.

Sait-on, par exemple que les pénalités prévues par la réglementation américaine en la matière sont de 20 à 40% ? Il est donc à craindre que les progrès qui pourraient être faits dans les modes de résolution de la double imposition (accords préalables avec l'administration, procédure amiable, arbitrage), soient tout au moins en partie, neutralisés par une aggravation des pénalités encourues.

Le régime fiscal de l'entreprise comprend également les coûts administratifs, internes et externes, résultant des justifications à apporter en cas de contrôle. Les exigences imposées par les réglementations sont de plus en plus lourdes et la reconstitution d'une documentation approprié apparaîtra souvent plus difficile et surtout moins efficace que ne l'aurait été une formalisation à priori.

L'un des objectifs essentiels des accords préalables en matière de prix de transfert et de limiter les risques de double imposition qui résultent le plus souvent d'un redressement opéré dans un Etat en matière de prix de transfert.

La double imposition économique est définie comme l'imposition de personnes différentes au titre d'un même revenu. En principe, ces situations sont résolues par les conventions bilatérales contre la double imposition. Le modèle OCDE prévoit en effet en son article 9 que: "Lorsqu'un Etat contractant inclut dans les bénéfices d'une entreprise de cet Etat, et impose en conséquence, des bénéfices sur lesquels une entreprise de l'autre Etat contractant a été imposée dans cet autre Etat, et que les bénéfices ainsi inclus sont des bénéfices qui auraient été réalisés par l'entreprise du premier Etat si les conditions convenues entre les deux entreprises avaient été celles qui auraient été convenues entre des entreprises indépendantes, l'autre Etat procède à un ajustement approprié du montant de l'impôt qui y a été perçu sur ces bénéfices. Pour déterminer cet ajustement..., si c'est nécessaire, les autorités compétentes des Etats contractants se consultent."

Ainsi, il n'y a pas de double imposition économique si la transaction redressée a été effectuée entre deux Etats signataires d'une Convention modèle OCDE prévoyant les dispositions ci dessus.

 

2. Le juriste d’entreprise, garant de l’application de la politique des prix de transfert.

a. il met en place la documentation support.

La réunion d'une documentation de support répond à un double objectif: interne et externe.

            INTERNE, parce que la documentation explique la politique aux opérationnels, leur fournit un cadre et qu'elle permet le suivi de la politique mise en place et son ajustement.

            EXTERNE, parce qu'elle permet de justifier la politique lors d'un contrôle pour un coût moindre que celui d'une justification a posteriori, et parce qu'elle répond aux exigences de certaines réglementations dont le non-respect est assorti de lourdes pénalités.

Ainsi, en France, l'article L13B du Livre des Procédures Fiscales autorise l’Administration fiscale à demander des informations non seulement en matière de détermination des prix de transfert, mais aussi dans des domaines où il s'avère parfois compliqué de réunir une documentation (activités exercées par l'entreprise étrangère liée à l'entreprise française lorsqu'elles sont en relation avec des opérations "suspectes", traitement fiscal des opérations à l'étranger)[2].

En cas de défaut de réponse ou de réponse insuffisante, l'entreprise se trouvera dans une position délicate puisque l'administration sera alors autorisée à procéder à un redressement "à partir des éléments dont elle dispose", c'est à dire éventuellement par comparaison avec les produits imposables des entreprises similaires exploitées normalement "méthode qui n'a jamais été préconisée par l'OCDE.

En outre, il convient de noter qu'aux termes de l'article L188A du Livre des Procédures Fiscales, lorsque l'administration fiscale doit procéder à une demande d’informations auprès d'une administration étrangère, le délai dont dispose le fisc pour utiliser ces informations afin de fonder des redressements est alors prorogé par rapport au délai normal de reprise (5 ans au lieu de 3 ans).

Pour éviter de tomber dans le piège de cet "arsenal procédural", les entreprises réalisant des opérations susceptibles d'être visées par l'art. 57 du Code Général des Impôts ont donc tout intérêt à formaliser à priori leurs relations intragroupes afin de disposer d'une documentation solide qui puisse être produite sur demande de l'administration.

Il convient en conséquence d'organiser au sein d'un groupe les moyens matériels et humains nécessaires au suivi des prix de transfert, de réunir et mettre à jour toutes pièces justifiant le raisonnement à l'origine de la méthode utilisée et des niveaux de rémunération arrêtés (analyses économiques, informations sur des transactions comparables, motifs du rejet d'autres méthodes...).

L'établissement d'un manuel portant sur les prix de transfert du groupe à destination des opérationnels, d'une liste intégrale des prix pratiqués et de statistiques comparant ces prix avec ceux pratiqués dans des transactions entre entreprises indépendantes sont autant de pratiques à recommander.

La conclusion de contrats écrits entre les entités est également souhaitable, et ceci plus spécialement dans des domaines "sensibles" tels que les frais de gestion (management fees) et l'exploitation de tout élément de propriété intellectuelle.

Cette exigence pose de sérieux problèmes pratiques aux entreprises. En effet, si on prend l'exemple d'une entreprise qui détermine fin 1998 ses prix de transfert pour l'année 1999, elle ne pourra se référer qu'à des données économiques et financières portant sur l'année 1997, voire 1996. Or, si cette entreprise est contrôlée en 2002 sur ses transactions 1999, l’Administration pourrait, en vertu de l'instruction exiger des données relatives à l'année 1999, données qui seront alors disponibles, mais dont le contribuable ne pouvait bien évidemment pas disposer au moment des faits. Comment seront alors traités les éventuels écarts?

A cet égard, les principes directeurs de l'OCDE sont tout à fait explicites: "Tout contribuable doit s'efforcer de déterminer ses prix de transfert sur le plan fiscal conformément au principe de pleine concurrence sur la base des renseignements dont il peut raisonnablement disposer au moment de cette détermination" (§5.3.). [3]

 

b. il a pour but de contrôler la bonne application de la politique des prix de transfert afin d’éviter une remise en cause de l’accord préalable et de permettre son renouvellement.

Le Juriste d'entreprise, avec l'aide de l'équipe responsable des prix de transfert doit périodiquement s'assurer de la mise en application correcte de la politique par les opérationnels. Un non-respect de certaines règles internes peut être expliqué par des facteurs très variés: inadaptations du système retenu à la réalité des transactions, modification des activités ou de l'organisation du groupe, modification des conditions externes de l'activité (évolution du marché, nouvelle réglementation...).

En tout état de cause, seul le suivi régulier de la politique des prix de transfert (grâce à la mise en place d'indicateurs de "déviance", à l'analyse des perspectives fiscales et commerciales locales, à une revue des changements de l'organisation interne...) permettra de la faire évoluer de manière efficace si le besoin s'en fait sentir. Une validation externe périodique de la politique pratiquée, par des équipes spécialisées, peut également s'avérer bénéfique.

Ce dispositif de suivi est déterminé aux termes de l'accord entre l'entreprise et l'administration française. Le contribuable produira, dans des conditions déterminées dans le cadre de l'accord, un rapport annuel afin de vérifier la conformité des méthodes pratiqués aux termes de l'accord. A défaut de régularisation dans les 30 jours d'une mise en demeure, le défaut de production du rapport annuel entraînera l'annulation de l'accord à compter de l'exercice au titre duquel le rapport n'a pas été présenté à l'Administration Fiscale.

L'entreprise devra conserver et tenir à la disposition de l'Administration l'ensemble de cette documentation conformément aux dispositions de l'article L102B du Livre des Procédures Fiscales. Dans le cas où l'application de la méthode conduirait à des résultats différents de ceux prévus par l'accord, celui-ci pourra être révisé conformément aux mécanismes d'ajustement prévus à l'accord.

L'accord étant conclu en France pour une durée comprise entre 3 et 5 ans, conformément aux recommandations de l'OCDE, il peut être éventuellement renouvelé à la demande de l'entreprise. La demande devra parvenir à l'administration fiscale 6 mois au moins avant l'expiration du terme de l'accord. A défaut de demande de renouvellement dans les délais requis, l'administration informera expressément le contribuable que l'accord est rapporté à l'échéance de son terme.

En cas d'accord formel de l'administration sur le principe d'un renouvellement de l'accord, la nouvelle procédure de négociation qui respectera les mêmes modalités d'instruction que la négociation de l'accord d'origine, peut être allégée en l'absence des modifications substantielles des conditions d'exercice de l'activité et des principaux paramètres de l'accord antérieur.

 


[1] Pourquoi définir une fonction fiscale des prix de transfert? Décideurs Juridiques et Financiers, n°13, p. 52
[2] Instruction du 23.07.1998, 13 L-7-98
[3] Le contrôle des prix de transfert, Silberztein Caroline et Priol Jean-Marc, Revue de droit fiscal, 1998, n°42, p. 1285année 1998

 


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